par Guillaume Desguerriers
Oui, il est possible de le dire : la crise a bon dos ! Elle est le prétexte à tout. Et en cette rentrée, il est même possible de dire qu’elle est opportune tant les décisions et les directions poursuivies par les tenants du néolibéralisme n’ont pas bougé d’un iota !
La casse des services public se poursuit donc et après EDF, GDF, France Télécom, La Poste se profile à son tour dans le collimateur. Le passage en Société Anonyme cotée en bourse est le premier pas vers ce que « les privatiseurs » nomment pudiquement « l’ouverture de capital » ; entendons par là une simple passation de pouvoir et l’irruption de la nécessité de faire des bénéfices pour des actionnaires rentiers. Comment en effet ne pas vouloir se partager ce gâteau, comment ne pas vouloir le rendre « efficace », c’est à dire concrètement « rentable » en terme d’argent (c’est à dire capable d’assurer une rente financière).
Logique du don et du lien contre logique de rente et de pillage
Toute la logique du productivisme se retrouve dans la privatisation, et c’est à travers elle l’affrontement de deux blocs. Pour l’un, le service public est une manière de tisser du lien social, de créer du patrimoine commun, de créer une communauté de destin au sein du Pacte Républicain tel que des penseurs comme Épicure et plus tard Rousseau ont pu nous le proposer. Pour ce bloc, le service public est l’occasion d’une dépense, d’un don, d’une ouverture vers le futur et vers le mieux être (bien entendu, à condition que le service public soit géré en ce sens, et non pas comme une firme privée, ce qui est hélas le cas de La Poste depuis des années… ). Pour l’autre camp, le paradigme bourgeois comprend la totalité du réel. Ce paradigme, l’économisme, n’est rien d’autre que l’impossibilité de concevoir le monde autrement qu’en terme de production, de rapport au travail, de gain d’argent, d’exploitation du monde vivant. Il s’agit donc de rationaliser en termes économiques : c’est à dire en terme de gain d’argent qui est alors le but, la finalité, l’objectif éthique de cette politique, nommée néolibérale. La dépense ne se conçoit que dans l’objectif éthique du gain d’argent, rien d’autre. Une telle conception de la dépense est la signature d’une névrose.
Car de fait, l’économisme dirige bien plus que la seule sphère économique, il est le fondement d’une culture et d’une éthique de vie dont l’activité économique, mais également le rapport à autrui, les conceptions du monde, du corps, du travail, du temps, et même les arts ou les sciences ne sont que des mises en pratique concrètes de son orientation profonde, de sa conception du monde et de l’existence. Dans le paradigme bourgeois, tout, absolument tout, ne peut être pensé en termes autres que de rentabilité, de gain d’argent, de possession, de production, de travail…
Névrose caractérisée, le paradigme bourgeois s’entête dans sa logique propre et la crise actuelle crispe ses défenseurs et les renferme sur eux-même. La Poste, l’hôpital sont aujourd’hui ses cibles. Mais à cela il convient d’ajouter les prises de position de Laurence Pariso qui, à l’université d’été du MEDEF, appelle à « être moderne en terme de retraite » en précisant que, déjà partout en Europe, la capitalisation est une réalité, et qu’il convient de suivre cela comme un exemple ! (à ce compte personne n’aurait jamais été le premier à prendre position contre l’esclavage… ).
Être gros, pour être encore plus gros. Posséder pour posséder davantage. Produire pour produire davantage. Accumuler pour accumuler davantage. Travailler pour travailler davantage. Telle est la logique du paradigme bourgeois qui construit une société à sa mesure. L’économisme est une plaie de l’Humanité. Il borne l’horizon des individus à des finalités veines et fait payer sa logique dévastatrice à des millions d’êtres humains (qu’il pense en esclaves), et même à l’écosystème tout entier.
La crise actuelle est celle d’un système qui s’autodévore
Car il est idiot de croire que la crise ne profite à personne. Nous sommes dans une crise de l’endettement, qui, faute de répartition des richesses, faute de réduction du travail, faute de rompre avec l’exploitation illimitée du monde vivant, se retrouve dans une situation où des millions de personnes sont transformés en individus producteurs-consommateurs pour simplement soutenir la machine de l’ère industrielle : produire, gagner. Mais cette machine produit de l’inégalité (toutes les sociétés basées sur la rente et le taux d’intérêt en produisent… ), et cette inégalité, qui ne peut que croître dans un système rentier, finit par endetter des millions de personnes alors que seuls quelques uns possèdent la quasi totalité de l’argent (par quasi totalité, il faut comprendre qu’ils ne possèdent que des chiffres dans les ordinateurs des banques). La logique de « drainage » qui est celle du paradigme bourgeois conduit les états à s’endetter pour compenser leurs dépenses. Mais auprès de qui empruntent-ils ? Auprès de ceux qui ont déjà drainer la totalité des gains, car seuls ceux-là ont des fonds ! Et de fait, l’endettement des individus produit l’endettement des états, qui endettent encore les individus en tant que citoyens.
Dans cette logique, le sursaut actuel des bourses n’est dû qu’aux prêts des états consentis pour sauver les banques, et en réalité il n’y a ni rebond, ni de changement de logique économique : les banques recapitalisées sont reparties dans la « titrisation », les produits dérivés, le trading et la spéculation (d’où un semblant de regain… qui n’en est pas un). Pour preuve, les énormes provisions constituées par BNP-Parisbas pour rémunérer ses traders, et pressurer les entreprises en leur demandant des taux de rente de 15%, 20%, voire 30% ! Et cela se termine sur le dos des millions d’individus tous « employés du libéralisme », qu’ils soient ouvriers, employés de bureau, cadres pressurés, salariés indépendants, etc.
La nécessité de revoir le logiciel de la gauche
Une des sources du problème est dans la nécessité de revoir les perspectives. Le MEDEF appelle à l’ambition, la gauche doit en avoir aussi. Le gouvernement veut des réformes, la gauche doit en proposer aussi. Car un projet de société n’est pas une question d’immédiateté dans les combats à mener, mais une question de perspectives. Si le combat immédiat est impératif pour endiguer la misère et les douleurs quotidiennes, la projection politique vers le futur est impérative pour montrer la possibilité d’un changement de société, et construire l’action politique en ce sens.
Sans perspectives vers le futur, sans horizon, le combat se résume à un baroud d’honneur face à un rouleau compresseur. Inutile de préciser qu’une telle option décourage les individus, leur fait perdre toute motivation (« à quoi bon se battre si l’espoir de bâtir un autre monde n’est pas là ?! »). Et de fait, la gauche doit proposer un projet réellement alternatif. Car il n’y a plus de place pour l’état providence, et nous allons vers une logique d’affrontement total. Il convient donc d’armer les individus, d’en faire des individus-citoyens capables de défendre ce projet alternatif dans la perspective républicaine.
Vouloir bâtir un autre monde, c’est proposer d’autres rapports au travail, aller vers la réduction du temps consacré à l’activité qui éloigne de soi, et surtout rompre avec le salaire comme fruit du travail individuel au détriment des autres. Il s’agit de rompre avec les passe-temps de la société de consommation qui entretiennent les individus dans l’illusion du plaisir, alors qu’ils ne font que consommer et oublier leur travail (pour mieux y retourner… ). Il s’agit de rompre avec la confusion du tout consommable : car il y a le nécessaire et ce superflu qui ruine des millions d’individus et n’apporte rien d’autre que de la rente pour quelques uns. Il s’agit de rompre avec la fabrication d’individus consommateurs-producteurs, et de fait, il faut en finir avec le PIB comme indicateur politique et avec la sacro-sainte « nécessité de croissance » comme horizon du bonheur social. L’économie au centre de la culture et de l’éthique de notre civilisation : voilà ce qu’il convient d’enterrer. Le rêve des trente glorieuse est en réalité un cauchemar car l’ère industrielle, qui est en crise, se caractérise par la réduction de la totalité du réel à la sphère de l’économie, et il n’y aura donc aucune possibilité d’alternative tant que le logiciel programmatique de la gauche tournera dans ce giron. Travail, individu, temps pour soi, santé, logement, lien social, lien avec l’écosystème, la bonne mesure d’un grand projet politique alternatif est l’audace !
Nous devons être audacieux.
ResPublica, journal du réseau de La Gauche Républicaine, laïque, écologique et sociale