dans lemonde.fr du 21.01.10 | 14h59
Lors d’une grande interview publiée par Le Monde daté du 19 janvier 2010, Mme Lauvergeon a fait des affirmations qui méritent largement d’être contestées ou commentées.
Ainsi, après qu’Abou Dhabi a choisi un réacteur coréen et non le réacteur EPR français, Mme Lauvergeon affirme que « la Corée du Sud était prête à tout pour l’emporter, tant en termes de prix que de financement étatique ». Il est assez amusant de rappeler que c’est exactement ce que la France et Mme Lauvergeon ont fait en 2005 en vendant à la Finlande un réacteur EPR pour 3 milliards d’euros alors que le coût réel est, à ce jour et en attendant de nouvelles révélations, proche du double. Ce sont les Français qui vont payer l’addition : exporter des réacteurs ne rapporte donc pas d’argent, bien au contraire…
Mme Lauvergeon prétend aussi à propos de l’EPR que « quoi qu’il arrive à l’intérieur (fonte du cœur du réacteur, explosion d’hydrogène) ou à l’extérieur (bombes, missiles, chute d’avion gros porteur), il n’y aurait pas de rejet de radioactivité ». Il s’agit là d’affirmations gratuites contredites par des éléments fiables :
– le réseau « Sortir du nucléaire » a rendu public un document confidentiel-défense qui montre la vulnérabilité du réacteur EPR en cas de crash d’avion de ligne. Cette publication m’a d’ailleurs valu deux mises en garde à vue par la DST, mandatée par… la section antiterroriste du Parquet de Paris (voir par exemple Le Monde du 15 septembre 2005 et du 19 mai 2006) ;
– le système de récupération du cœur en fusion, dont la seule existence est déjà l’aveu qu’un événement d’une telle gravité est possible avec l’EPR, est susceptible d’occasionner de puissantes explosions de vapeur. Ce risque a été reconnu par l’Autorité de sûreté. De telles explosions pourraient entraîner la rupture de la cuve et celle de l’enceinte de confinement, c’est-à-dire une catastrophe comparable à celle de Tchernobyl ;
– l’autorité de sûreté britannique – rejointe seulement après coup par les autorités de sûreté française et finlandaise, qui n’avaient rien vu… ou rien dit – a révélé en juillet dernier que le « contrôle-commande » de l’EPR était défaillant.
Il est donc faux de prétendre comme le fait Mme Lauvergeon que l’EPR est « plus cher parce que plus sûr » : en réalité, l’EPR est plus cher… ET encore plus dangereux que ses concurrents. Car, faut-il le rappeler, tous les réacteurs nucléaires sont dangereux, qu’ils soient coréens, français ou de toute autre conception.
D’autres part, dans une enquête publiée simultanément à l’interview de Mme Lauvergeon, M. Bezat [journaliste du Monde] prétend qu’« au moins 200 réacteurs devraient être construits dans le monde d’ici à 2030 ». Ce n’est pas la première fois que de telles affirmations sont faites et nous les contestons formellement : la plupart des projets de nouveaux réacteurs nucléaires sont annulés ou en voie de l’être : l’électricité nucléaire est de loin la plus chère à produire lorsque l’argent public n’est pas massivement requis en amont et lorsque le coût du démantèlement et des déchets radioactifs n’est pas abandonné en cadeau empoisonné pour les générations futures.
Les déconvenues de l’EPR ne sont pas les seules pour l’industrie nucléaire française : l’usine d’enrichissement de l’uranium en construction sur le site du Tricastin (Drôme), célèbre pour ses fuites et autres contaminations, utilisera des centrifugeuses chèrement louées par Areva à son concurrent étranger Urenco : contrairement à divers pays (dont l’Iran !), la France ne maîtrise pas cette technologie.
Par ailleurs, les réacteurs actuellement en service en France sont de plus en plus souvent en panne – le taux de disponibilité est en baisse tous les ans – et la menace d’un accident grave s’élève continuellement. De plus, l’option « centrales nucléaires + chauffages électriques » a largement fait la preuve de son absurdité : la France, pourtant royaume de l’atome, a été sauvée à nouveau cet hiver par ses voisins, qui lui ont vendu – fort cher – de grandes quantités d’électricité.
Il est grand temps de programmer la fermeture la plus rapide possible de tous les réacteurs nucléaires, d’investir massivement dans les économies d’énergie et les énergies renouvelables, et de fait d’abandonner définitivement le programme EPR qui coûte si cher à la France… et la ridiculise aux yeux du monde entier. Même si ses déchets vont durer des millénaires, le nucléaire est une énergie du passé.
Stéphane Lhomme est porte-parole du réseau « Sortir du nucléaire«