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Sep 28

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Aurélien Bernier à la Fête de l’Humanité

Débat organisé par le Parti de Gauche : « Quel programme ? Contre la présidentialisation, la 6e République » – 11 septembre 2009

Avec Roger Martelli, débat animé par Pascale Le Neouannic, Conseillère Régionale Ile de France

Texte rédigé de l’intervention de Aurélien Bernier

 

 

Malgré l’intitulé du débat, je ne parlerai pas de sixième ni de cinquième république, mais bien de République tout court. En effet, puisque nous abordons le problème des institution, il nous faut d’abord soulever la question la plus taboue de toutes les questions politiques : est-il encore possible de parler de République dans le cadre des institutions européennes? Est-il encore possible de mener des politiques de gauche – la vraie gauche, celle que nous qualifions de radicale et républicaine – en respectant le droit communautaire?


Je ne vous ferai pas l’insulte de revenir sur les valeurs républicaines, que vous connaissez mieux que moi : la liberté, l’égalité, la fraternité, mais également l’universalisme, ou encore le fait de concevoir la loi comme le moyen de produire de l’émancipation et de la liberté. Puisque nous savons tous, au Parti de Gauche comme au M’PEP, que ces valeurs sont aux antipodes de celles de l’Union européenne, le problème qui nous est posé est simple. Pour une gauche radicale qui prétend gouverner, il n’existe que deux options. La première serait qu’elle renonce, une fois élue, au programme qu’elle s’était engagée à mettre en œuvre, au motif que le droit européen le lui interdit. La seconde serait qu’elle désobéisse à l’Union pour pouvoir gouverner. Il n’y a aucune autre alternative.


 

A l’époque où la gauche française n’était pas encore acquise à la social-démocratie, elle osait clairement choisir entre la question sociale et la question européenne. Dans son chapitre consacré à l’Europe, la programme commun de 1972 du Parti communiste français, du Parti socialiste et du Mouvement des radicaux de gauche indiquait : « Le gouvernement aura à l’égard de la Communauté économique européenne un double objectif. D’une part, participer à la construction de la CEE, à ses institutions, à ses politiques communes avec la volonté d’agir en vue de la libérer de la domination du grand capital, de démocratiser ses institutions, de soutenir les revendications des travailleurs et d’orienter dans le sens de leurs intérêts les réalisations communautaires ; d’autre part de préserver au sein du marché commun sa liberté d’action pour la réalisation de son programme politique, économique et social. »

 

 

Presque quarante ans plus tard, nous constatons qu’un virage à cent-quatre-vingt degrés a été pris. Qu’elle soit au pouvoir ou dans l’opposition, la gauche se couche devant les injonctions de « Bruxelles », alors que l’Union européenne est pourtant bien plus libérale qu’à l’époque où fut écrit ce texte.


Le résultat est terrible du point de vue des politiques menées, puisque l’Union européenne pratique le néolibéralisme le plus débridé et l’impose aux États.

 

Mais il est également terrible – et peut-être plus encore – à cause du fatalisme qu’il génère. En effet, les citoyens comprennent très bien que toutes les politiques libérales subies dans les États membres proviennent de l’Union européenne ou s’y réfèrent. Les traités européens sont devenus la bible des gouvernements conservateurs, qui invoquent « L’Europe » pour justifier leur action. Mais ces mêmes traités constituent aussi l’excuse rêvée pour la social-démocratie, qui utilise « L’Europe » pour justifier son inaction.


Or, face à cette impasse, les partis de gauche ne proposent qu’une perspective : changer l’Union européenne des 27 pour avoir ensuite, et ensuite seulement, le droit de mener des politiques de gauche.

 

 

Pourtant, un examen sérieux de la situation montre qu’il n’existe, de l’intérieur des institutions, strictement aucune perspective de changement rapide. Nous avons dit en 2005, au moment de la campagne sur le Traité constitutionnel européen, que son adoption « graverait dans le marbre » l’orientation ultralibérale de l’Union. Mais l’ultralibéralisme est déjà gravé dans le marbre du traité en vigueur ! C’est bien le Traité de Nice qui indique dans son article 131 que « les États membres entendent contribuer, conformément à l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et à la réduction des barrières douanières ». C’est ce même texte qui précise dans son article 56 que « Toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites », rendant impossible une politique fiscale de gauche. Nul besoin d’attendre le Traité de Lisbonne pour que la Cour de justice des communautés européennes mette en pratique la casse des acquis sociaux, comme c’est le cas avec les arrêts Viking ou Laval.

 

Nous savons tous également que le rôle du Parlement européen se limite à un rôle d’observateur, dans le meilleur des cas de lanceur d’alerte, et ceci pour deux raisons. D’une part, la Commission conserve toujours et conservera l’exclusivité en matière de propositions législatives, et d’autre part, le Parlement est incompétent sur les Traités communautaires et les accords internationaux. Ce n’est pas un hasard s’il n’existe qu’un exemple dans l’histoire de mise en échec par le Parlement d’une proposition de directive – la directive portuaire – dans le cadre des procédures de co-décision. Et encore, ce rejet tient bien plus à la mobilisation déterminée des dockers qu’au volontarisme de l’assemblée élue pour représenter les peuples d’Europe.


L’affaire des OGM détruit quant à elle l’espoir qu’un groupe de pays puisse influencer les politiques européennes dans un sens moins libéral : alors qu’une majorité de citoyens et d’États membres souhaiterait interdire les cultures transgéniques, la Commission continue de les imposer au nom du libre-échange.


L’idée de Constituante, enfin, est une idée louable. Mais elle est surtout une proposition de très long terme, qui ne peut s’appuyer aujourd’hui sur aucune réalité. Non seulement le Parlement ne dispose pas de légitimité en la matière, en particulier du fait des taux d’abstention records aux scrutins qui permettent de l’élire, mais surtout, l’Union européenne ne pourrait accoucher en l’état des rapports de forces que d’une constitution ultralibérale.


Soyons donc lucides, et osons dire qu’aucune politique de gauche ne pourra respecter les orientations et le droit communautaire. Si nous voulons être crédibles, nous devons revendiquer haut et fort la désobéissance européenne, qui est un premier pas obligé pour sortir du capitalisme. Concrètement, cette stratégie comporte deux niveaux.


Le premier niveau est celui de la résistance. Il s’agit de refuser la transcription des directives et l’application de règlements ultralibéraux. Une gauche radicale au pouvoir pourrait-elle transcrire la directive postale, qui organise le démantèlement du service public? Bien-sûr que non. De la même manière, elle serait dans l’obligation de dénoncer des directives déjà transposées, comme la directive 96/92/CE « marché intérieur de l’électricité ». Enfin, il serait totalement aberrant de continuer à abonder le budget communautaire qui sert à mener des politiques avec lesquelles nous sommes en complet désaccord, à l’image de la Politique agricole commune.

 

 

Mais ce niveau défensif n’est pas suffisant. Notre objectif est bien de renverser la tendance et de poser les bases d’un tout autre modèle de société. Nous devrons construire un droit juste, émancipateur, protecteur de l’environnement, et il est absolument évident que ce droit ne sera pas compatible avec le droit communautaire. Et alors? Pourquoi en avoir peur? Au nom de quoi la désobéissance européenne serait-elle taboue alors qu’il s’agit du seul moyen de mettre fin à la libre-circulation des capitaux, d’instaurer un protectionnisme écologique et social, ou de voter un paquet législatif anti-délocalisations? Cette démarche de construction d’un nouveau droit suppose bien-sûr de refuser le paiement de la moindre astreinte qui viendrait la sanctionner et de réorienter les fonds qui ne seront plus versés à l’Union européenne pour financer des politiques de gauche et pour lancer notamment des coopérations renforcées sur des bases progressistes.

 

Pour ne prendre qu’un exemple concret et immédiat de désobéissance européenne nous pouvons citer la réforme du code des marchés publics. Dans le cadre d’un programme de lutte contre le changement climatique, la France pourrait intégrer un critère de réduction des gaz à effet de serre dans la commande publique, qui porterait sur toute la chaîne de chaque prestation et deviendrait un critère de choix des offres. Cette mesure serait tout à fait efficace, puisqu’elle générerait une forte baisse des besoins de transports et favoriserait les productions moins polluantes. Elle serait largement incitative puisque la commande publique, qui englobe les marchés de travaux, de biens et de services passés par l’État et par les collectivités locales, représente 240 milliards d’euros chaque année. Pourtant, un tel changement est totalement prohibé par l’Union européenne, puisqu’il constitue une entrave à la concurrence. Alors que l’Union prétend hypocritement être en pointe dans la lutte contre les dérèglements du climat, la priorité est toujours donnée au libre-échange. La désobéissance européenne sur cette question des marchés publics, régie par les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE, est indispensable pour mettre fin à cette situation. Cette décision est non seulement très simple à mettre en œuvre, mais elle recevrait également un large soutien populaire.


Voici un exemple, pris parmi des dizaines d’autres, qui montre que la désobéissance européenne est une notion profondément républicaine. On peut la revendiquer en étant parfaitement légaliste, puisqu’elle ne remet pas en cause la force contraignante de la loi, mais vise à bousculer la hiérarchie du droit pour restaurer la souveraineté populaire. Le jour où la gauche osera la porter dans le débat public, l’inscrire sur ses banderoles et l’afficher dès les premières lignes de son programme, elle redeviendra victorieuse, puisqu’elle redonnera au citoyen ce qu’il a perdu : l’espoir d’un changement radical.

 

 

(Merci à Jean-Charles pour les photos )

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