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Jan 18

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Travailler plus à en mourir

La liberté, ce mot employé à tort et travers, a-t-elle progressé au cours du dernier demi-siècle ?
La démocratie a-t-elle conquis tous les territoires de l’activité humaine ?
Le progrès a-t-il libéré l’homme au travail ?
Pour les prophètes enthousiastes de « Vive la crise ! », l’époque de Dickens et Zola, les travailleurs pauvres, misérables, les enfants dans les mines, dans les usines, souffrant dans leur chair, c’était du passé. Nous étions dans les années 80 ! La crise était la clé pour entrer dans le monde heureux de l’esprit d’entreprise, de l’entreprise généreuse et performante.
Plus de vingt ans ont passé, le vent de la contre réforme néo réactionnaire, dite réforme libérale, est passé par là. Les marchés financiers ont réduit l’entreprise aux actionnaires et dirigeants actionnaires, les profits explosent, les salaires des dirigeants aussi, ils augmentent et dépassent l’imaginable, les dividendes et bénéfices des actionnaires suivent.
L’entreprise se contre-réforme, se réorganise pour le bien de tous… les dirigeants et actionnaires. Les salariés n’existent plus, ce sont des ressources « humaines », gérées comme telles pour la santé de l’entreprise, de l’économie et des dirigeants et actionnaires. Les salariés, au gré des réorganisations, contre-réformes, reengineering, sont jetés en préretraite, au chômage, dans la précarité offerte par la flexibilité, autre mot bienveillant du management, nouvelle religion apolitique, technique et scientifique, puisque les experts se multiplient comme les profits pour vous le répéter sans relâche.
Tout cela, cette contre-réforme, ce reengineering, la contre-réforme du droit du travail, c’est pour répondre aux attentes et à la logique implacable mais garante de notre bonheur qu’est le marché du travail, ou plutôt des ressources humaines.
Les esprits ronchons vous alerteront sur la misère renaissante dans notre société qui croule sous les richesses, vous décriront la libération que sont le management et les fameuses nouvelles technologies au service de la création de valeur… pour l’actionnaire.
Le salarié travaille pour l’actionnaire et les marchés financiers, et puisqu’il travaille, il n’a rien à revendiquer, ou alors est il devenu fou ? Le spectacle de la richesse grandissante des actionnaires et des dirigeants millionnaires est leur récompense, c’est grâce à eux que la richesse se diffuse et s’amasse entre des mains peu nombreuses mais Ô combien méritantes. Sans eux, que serait notre économie, notre vie ?
Pour les salariés qui s’interrogent malgré ce bonheur débordant, il leur faut travailler plus pour gagner plus et devenir riche, rejoindre le club fermé des riches, du moins le leur affirme-t-on avec bienveillance et compassion.
La réalité : le progrès technique et les sois sociales avaient réduit les méfaits du taylorisme, première application du couple technologie-management. Mais avec « vive la crise ! », on étend le taylorisme grave aux technologies de l’information, au travail de bureau, et on y ajoute un zeste de créativité apporté par la botte de sept lieues de l’intelligence qu’est l’ordinateur, mais cela est réservé à une élite restreinte, directement au service des dirigeants de l’entreprise. Ces heureux élus « partagent » leur savoir-faire avec les dirigeants et les actionnaires.
Les autres salariés sont soumis à la pression du management, à la nouvelle barbarie des ressources humaines qui surveillent et demandent toujours plus pour moins de salaires, pour plus de chômage.
Alors finis la libération, la créativité, l’appel réel à l’intelligence, le dialogue, l’esprit d’équipe !
Bienvenue à la compétition ! Tous les jours il faut battre des records comme les athlètes, sauf que c’est un fantasme prométhéen loin de la réalité. Les athlètes sont entourés par une équipe, soutenus, et non surveillés et réprimés. Ils ne battent pas de records tous les jours, et n’atteignent le sommet de la forme que pour des périodes courtes ; hé oui l’être humain n’est pas une ressource que l’on peut programmer.
Le salarié isolé fait face aux injonctions délirantes et mortifères du management des ressources humaines et à sa barbarie tranquille. Tout cela ne se voit pas, la souffrance psychique ne se photographie pas, pas de sang, pas de « une » des médias. Mais le marché l’exige.
Vive la crise, vive le marché, vive les nouvelles technologies au service du Management, vive la belle vie des dirigeants et actionnaires ! Les salariés sont brutalisés comme jamais, ils meurent au travail, ils se suicident, mais les directions de la propagande dénommées « de la communication » veillent au grain, « c’est marginal, ce sont des perdants, des pauvres humains inadaptés ». Vive la crise et que la création de valeur, l’esprit d’entreprise, les riscophiles continuent à baigner dans le bonheur : le Président, ami des dirigeants, est toujours là pour protéger la compétitivité, accélérer les contre- réformes, réduire la solidarité (cotisations et impôts) pour les dirigeants et les actionnaires ; le salarié pauvre ou non paie et paiera. Tant pis s’il y a des victimes collatérales, « la vie, l’amour c’est comme ça » comme dirait Laurence la cendrillon des gagnants, la barbarie c’est la vie pour les autres.
Bonne année à tous, retrouvons l’humain pour nous libérer de la barbarie pernicieuse du marché, du management et de nos dirigeants millionnaires.
Jean Bachèlerie

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